Mille crétins: Quim Monzo
Publié le 5 Avril 2013
Pourquoi ce choix de nouvelles? Simplement pour son titre accrocheur. Souvent le lecteur est attiré par la première de couverture annonciatrice de nouvelles de haute envolée. Le titre synthétise toutes les promesses d'une découverte sur soi ou ses semblables.
Quim Monzó décrit ses contemporains face à une difficulté: la mort, l'amour, le talent...Cette situation est souvent déroutante, inquiétante. Ces histoires renvoient à des expériences vécues. Le lecteur revit la scène et incorpore soit la horde de crétins soit reste indifférent. Sans l'avoir vécu, certains lecteurs entreront dans la chambre de ce vieil homme dans une maison de retraite et vivront impuissants une fin de vie.
Quim Monzó touche les points sensibles de la vie de l'homme. Il joue sur la sensibilité, la culpabilité mais aussi sur le crétinisme qui pousse certains personnages dans des situations burlesques. Il se moque aisément de son propre métier en mettant en scène un écrivain obligé de réduire sa prose pour créer des nouvelles.
L'humour est corrosif et parfois explosif. Cette manière de décrire nos attentes face aux malheurs permet aux lecteurs de devenir plus lucide et de parfois rectifier ses maladresses.
Méfiez-vous des vieilles femmes qui déménagent en pleine nuit!
Voici quelques bribes de nouvelles:
"- Ici, dit-il, quand quelqu'un meurt on dit qu'il est parti. Tu sais que quelqu'un est mort parce que d'un seul coup il n'est plus là. d'un seul coup il n'est plus jamais là : il n'est pas dans le jardin ni dans la salle à manger ni dans la salle de télé, il n'est nulle part alors que jusqu'au jour précédent il était tout le temps là. Le premier jour, soit : peut-être qu'il est malade. Mais si cela fait plusieurs jours qu'il n'est nulle part si tu demandes ce qui lui est arrivé on te répond qu'il est parti. Il est parti où? On ne te le dit pas. [...]"
"Mais les semaines passent et, à force de semaines, les mois. Cela fait déjà dix mois que nous vivons ensemble. Ce n'est pas que je ne sois pas heureux avec elle, et encore moins que je désire qu'elle meure. Pas du tout. Mais si ce n'était parce qu'elle allait mourir, je n'aurais jamais décidé de vivre avec elle, et encore moins de me marier. Il est évident que je ne peux pas la prendre entre quatre yeux et lui dire : "Écoute, Carolina, voyons un peu, quand est-ce que tu dois mourir?" [...]"
"Doux Jésus ! Il est incapable de penser quelque chose sans l'écrire aussitôt, si bien que chaque nouvelle pensée mange une nouvelle ligne et du coup, à la ligne 26, il s'aperçoit qu'à seulement quatre lignes de la fin il ne réussit pas à définir le sujet, peut-être parce que, en réalité - comme il le soupçonne depuis longtemps déjà -, il n'a rien à dire. Et si, habituellement, il réussit à le dissimuler en accumulant des pages et des pages, ce maudit récit en apporte la preuve éclatante, c'est pourquoi lorsqu'il arrive à la ligne 29, il soupire et, avec un sentiment d'échec qui n'est qu'en partie justifié, il met un point final à la trentième ligne."